L’Homme en Bleu a rencontré Jamie Linton, chercheur et éminent responsable scientifique de la Chaire Capital Environnemental et Gestion Durable des Cours d’Eau à l’Université de Limoges portée par sa Fondation partenariale.
Les cours d’eau concentrent des enjeux économiques, sociaux, politiques et environnementaux qui méritent une attention toute particulière. Une mission incarnée par Jamie et son équipe depuis 2014. Mais notre ami originaire d’Outre-Atlantique travaille également sur des réflexions philosophiques, historiques et conceptuelles autour de cette denrée indissociable de la vie sur Terre.
Trouver les moyens pour engager la société dans la gestion durable des cours d’eau comme par exemple solliciter la démocratie citoyenne, renforcer la mémoire, les connaissances et les diverses formes d’engagement des hommes vis-à-vis des cours d’eau, voici des missions que Jamie Linton relève haut la main.
Rencontre.
LHEB : Bonjour Jamie, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Jamie Linton : Bonjour l’Homme en Bleu, je m’appelle Jamie, je suis originaire du Canada et je suis venu à Limoges pour diriger un programme sur la gestion de l’eau.
Je suis géographe de formation, mais je suis aussi un politologue et je détiens un Doctorat en philosophie.
LHEB : Vous êtes arrivé à Limoges en 2014, vous êtes maintenant un vrai Limougeaud n’est-ce pas ?
Je ne sais pas si je suis un vrai Limougeaud mais j’aime beaucoup le caractère des gens par ici. Un caractère de prime abord un peu rude et fermé mais on est agréablement surpris par la suite quand on fait plus ample connaissance !
LHEB : Qu’est-ce qui vous plaît le plus à Limoges et dans la région Limoumou** ?
Principalement le patrimoine et l’Histoire ! Vous avez un héritage formidable et millénaires que l’on ne retrouve pas en Amérique du Nord.
Limoges est d’après moi un véritable bijou historique. Vous avez une sublime cathédrale, les jardins de l’Évêché ou encore le Vieux Limoges qui est magnifique.
Et puis j’adore la campagne Limousine. Je vis près des Monts d’Ambazac et je suis subjugué par la quiétude et la qualité de vie de la campagne !
LHEB : Et qu’est-ce qui vous plaît le moins ?
L’hiver ! Il ne fait que pleuvoir et il n’y a que trop peu de neige, c’est ce qui me manque le plus du Canada je crois !
LHEB : Vous faites vos recherches autour de “l’idée de l’eau”. Quézako ?
Il s’agit de s’intéresser aux relations des hommes avec l’eau d’un point de vue historique, sociologique et anthropologique. Dans le monde occidental du XXIème siècle, nous avons une relation très scientifique avec l’eau : Quand on ouvre un dictionnaire, on retrouve majoritairement une définition très cartésienne de cette ressource.
Au cours de l’Histoire et des cultures, on constate que chaque “eau” a son sens et ses propriétés en lien avec le contexte géographique et social […] c’est cela qui me passionne !
Jamie Linton
La définition de “l’eau moderne” comme j’aime à le dire, se limite à parler de la composition chimique de l’eau qui désigne un liquide immuable.
C’est une approche très contemporaine dans l’Histoire de l’humanité, car on réalise que l’eau avait de multiples définitions, et les Hommes n’ont pas tous la même relation avec elle, des relations diamétralement différentes selon les cultures, les contextes historiques…
LHEB : C’est à dire ?
Prenons l’exemple des vieilles fontaines que l’on retrouve dans beaucoup de communes en Limousin. Chaque fontaine avait sa propre légende et ses propriétés.
Le point de rupture de notre relation sociale avec l’eau est très récent, on peut le corréler à la démocratisation des infrastructures d’acheminement comme les tuyaux d’eau courante.
Jamie Linton
J’habite à la campagne à 100 mètre de chez moi on retrouve une fontaine Gallo-Romaine qui avait pour réputation de faire parler plus rapidement les nourrissons qui la buvaient. Dans une autre commune on pouvait retrouver une fontaine qui donnait plus de sagesse…
Il y avait une singularité des eaux. Chaque eau avait son sens et ses propriétés en lien avec le contexte géographique et social, c’est cela qui me passionne !
Grâce ou à cause de la modernité, on ne prend plus conscience du sens de ce trésor commun à tous.
LHEB : Quel a été le point de rupture dans notre société qui fait qu’aujourd’hui l’eau est exclusivement considérée comme une commodité et plus comme une part de notre histoire/culture ?
Il s’agit de la convergence de plusieurs paramètres sociologiques. Le plus notable est évidemment la mise en distance entre l’Homme et l’eau avec l’arrivée de la technologie.
Aujourd’hui, il suffit d’ouvrir un robinet ou d’aller en supermarché pour avoir une eau prête à être consommée.
Si on remonte au début du XXème siècle en Europe, la plupart des populations devaient se déplacer auprès d’un puit ou d’un lavoir pour avoir accès au précieux liquide.
Il s’agissait d’une mission attribuée aux femmes rurales, qui par conséquent connaissaient les propriétés des différentes eaux. Sociologiquement, c’était un temps forts pour ces femmes qui pouvaient se retrouver entre elles et tisser des liens loin d’une société très patriarcale.
Le point de rupture de notre relation sociale avec l’eau est très récent, on peut le corréler à la démocratisation des infrastructures d’acheminement comme les tuyaux d’eau courante.
Cependant, avec les enjeux écologiques, les citoyens commencent doucement à s’intéresser à nouveau à l’eau.
Bref, il a d’autres histoires anthropologiques autour de l’eau, mais il nous faudrait plus d’une journée pour en discuter ! *rires*
LHEB : Revenons à vous Jamie, vous êtes responsable de chaire à l’Université de Limoges et sa Fondation. Pouvez-vous traduire pour les mortels ?
Cela veut tout simplement dire responsable de recherche ! On travaille avec mon équipe sur la gestion des cours d’eau depuis 2013. Cela s’éloigne de ma thèse mais c’est tout aussi passionnant.
Pour vous expliquer nos missions, je vais vous donner un exemple concret.
Nous avons mené une série de projets de recherches comme par exemple un focus sur l’histoire des inondations comme forme de patrimoine. Essentiellement, il s’agissait de compiler tous les épisodes des inondations aux abords de la Dordogne.
Après enquête, cela nous a permis de créer une “Route des crues” avec un parcours clairsemé de panneaux explicatifs, composés de témoignages et d’anciennes photographies sur les lieux des grandes crues, le tout accessible pour les touristes, habitants et randonneurs.
Cela était un travail fascinant car on a pu avoir accès à des archives des différentes mairies que l’on a visité, l’opportunité d’avoir des discussions passionnantes avec de nombreux habitants, c’était très enrichissant.
Pour résumer, l’enjeu principal de la chaire est de susciter une prise de conscience des personnes sur l’importance de leurs cours d’eau et le rôle central qu’ils peuvent avoir dans la gestion de l’eau qui les entoure.
LHEB : Passons maintenant à des questions “cons-cons” sur l’eau.
Pour la première question, merci de répondre après avoir visionné la vidéo suivante :
*Rires* Déjà, le fait de boire l’eau en bouteille est une ineptie et contribue à la marchandisation de cette ressource commune, mais passons !
Pour répondre à la thèse de Jean-Claude Van Damme, c’est une thèse complètement ridicule. On parle souvent de la crise de l’eau comme quoi cette dernière se raréfie, c’est totalement faux.
Nous avons toujours eu la même quantité d’eau sur Terre depuis la nuit des temps. De plus, l’eau est de plus en plus propre et l’accès à l’eau potable n’a jamais été aussi développé, même dans les pays en difficultés.
Cependant, l’accès à l’eau sera peut être de moins en moins “facile” avec le business qu’il y a derrière. Le problème, d’après moi, est la privatisation croissante des infrastructures de distribution d’eau dans les pays et la volonté des marchés mondiaux de spéculer sur l’Or Bleu !
LHEB : Autre question “con-con” : Avec le réchauffement climatique, est-ce que notre monde risque de se transformer comme dans le film “Waterworld” ?
Je pense que c’est un peu exagéré ! *Rires*
LHEB : Dernière question de cette série : Est-ce que la danse de la pluie fonctionne ?
Je dois avouer que cela ne fonctionne pas lorsque je l’exécute ! Cependant, voici un exemple intéressant de la relation d’un peuple, de plusieurs tribus avec l’eau.
En effet dans la mythologie amérindienne de manière générale, ces rites de danses permettaient à tout un peuple de célébrer et être solidaire. Ces coutumes ont sûrement permis à ces peuples d’éviter des conflits dû à une raréfaction de l’eau par exemple. Mais je ne suis pas le plus pertinent pour discuter d’Histoire améridienne !
LHEB : Merci Jamie.
Retrouvez les travaux et informations sur Jamie Linton et sa chaire ICI ou encore PAR ICI !
Pour en savoir plus sur “la route des crues”, rendez-vous Ici et là.
** Limoumou = Limousin, pour les intimes.
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